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FEI-GCT : la loi du fric plus forte que la loi du sport ?

Jan Tops, le fondateur du Global Champions Tour

Après de longs mois de bataille juridique les dirigeants de la FEI et du Global Champions Tour ont finalement trouvé un accord et enterré la hache de guerre. Comme dit le proverbe, les loups ne se mangent pas entre eux. Le coup de dent, en l’espèce, est pour les cavaliers, victimes collatérales d’un incroyable dénouement dans lequel, après quelques pudibonderies de jeune vierge, la FEI retourne sa veste pour embrasser une vision américano-hollandaise du sport où la norme supérieure est l’argent.

De quoi s’agit-il ? Le combat initial qui a opposé le GCT à la FEI n’est pas propre à l’équitation. La structuration du sport repose depuis environ un siècle sur un monopole légal, celui des fédérations nationales et internationales sur leurs licenciés et sur l’organisation des compétitions auxquels ceux-ci participent. Ca, comme dirait la pub, c’était avant. Avant notamment que la télévision et ses annonceurs fassent couler l’argent à flots et aiguisent bien des appétits.

Dans la situation actuelle nous avons tous une part de responsabilité même si celle-ci relève plus de la naïveté. Naïveté de penser que le système mis en place par Jan Tops était bon pour le sport. C’était en fait ouvrir, avec un grand sourire, la porte de la bergerie au loup. Le GCT n’a rien d’une œuvre caritative et ceux qui savaient, à commencer par les dirigeants de la FEI, se sont bien gardés de pointer un système basé dès le départ sur une sélection par l’argent. Souvent copié depuis quelques années par différents organisateurs mais jamais égalé dans son sens du détail, le système repose sur un droit d’entrée maquillé derrière la réservation de tables.

L’arrivée de Franck McCourt aurait dû faire redoubler notre vigilance. Après avoir ouvert la porte, nous avons proposé une chaise et offert le couvert au nouvel entrant. Financier sans scrupules (c’est un oxymore), l’américain en rachetant la moitié des parts du GCT est surtout venu faire un coup dans un secteur qui ne l’intéresse que par son potentiel de rentabilité.

Partant du constat que l’Europe est un marché saturé, l’Américain a en ligne de mire les marchés émergents Asie, Amérique du sud et Etats-Unis, leurs téléspectateurs (via des accords de retransmission d’épreuves) mais aussi ces ultra-riches en peine pour dépenser leurs fortunes. Rien de neuf finalement sous le soleil si ce n’est reproduire le système de la formule 1 où pour avoir un volant le portefeuille (ou les sponsors) compte autant sinon plus que le talent.

Il ne s’agit pas pourtant d’avoir une vision nostalgique ou manichéenne mais de rechercher une situation équilibrée entre règles et éthique sportives d’une part et enjeux financiers de l’autre. Le problème posé par le protocole d’accord signé dernièrement entre la FEI et le GCT, c’est le désagréable sentiment qu’il donne. Cette sensation qu’Ingmar de Vos « s’est couché » devant Jan Tops et Franck McCourt. Une bien étrange défaite en vérité. Loin d’être un faux pas isolé, cette décision doit être replacée dans un contexte plus large où, dans un court laps de temps, des petits cailloux blancs ont été régulièrement semés pour dessiner au final une trajectoire plus favorable au business qu’au sport (modifications successives des formats des Jeux Equestres Mondiaux, des Coupes des Nations, manque de combativité face au CIO pour défendre la place de l’équitation aux Jeux Olympiques…)

« La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » disait Clémenceau. Actualisée, la formule pourrait être « le sport de haut niveau est une activité trop importante pour être laissée aux seules griffes des financiers ». Le communiqué diffusé par les propriétaires du GCT à l’issue de la signature du protocole d’accord avec la FEI doit être replacé dans ce contexte. « Nous remercions toutes les personnes impliquées pour leurs efforts. Nous sommes ravis de travailler avec la FEI à l’avenir afin de construire un futur fort et profitable à notre sport et à tous ses acteurs dans un environnement moderne » se félicitent ainsi le duo Tops-McCourt. Décrypté on ne peut que s’interroger sur la « modernité » revendiquée ainsi que sur les bénéficiaires de ce « futur fort et profitable » qu’ils entrevoient.

Beaucoup d’acteurs du haut niveau se déclarent aujourd’hui, de façon publique, inquiets sur l’avenir du saut d’obstacles mondial. Depuis l’avènement d’Ingmar de Vos à la tête de la FEI en 2014, le sentiment qui domine est celui d’un emballement de la mutation des sports équestres dans une direction où beaucoup ne se retrouvent pas. La volonté de la Fédération équestre internationale « d’harmoniser » les engagements (à la hausse en fixant le prix des engagements sont fixés en fonction de la dotation d’une épreuve ou de la compétition) entre l’Europe et les Etats-Unis en constitue le dernier avatar.

Interrogé par Elodie Mas de L’Eperon, très en pointe sur ce sujet brulant, Kevin Staut développe une vision particulièrement lucide de la situation « Jan Tops a proposé une bonne formule, il a un très bon produit et c’est normal qu’il avance de son côté, mais le problème c’est que la FEI ne joue pas son rôle d’arbitre. Le Global va devenir de plus en plus sectaire, il sera de plus en plus difficile de rentrer dedans. La sélection ne sera plus en fonction de la performance : aujourd’hui on passe déjà des 30 aux 15 meilleurs mondiaux, et à terme, ça risque d’être uniquement ceux qui font partie des équipes qui pourront y participer. Jan a fait avancer le sport, il a mis les choses en compétition, mais la FEI ne protège pas le sport !« 

Alors, si la FEI ne protège pas le sport, à quoi sert-elle et que font les fédérations européennes à commencer par la FFE ? La balle est assurément dans le camp des cavaliers de haut-niveau dont la passivité interpelle. Toujours dans cet incontournable entretien accordé à l’Eperon Kevin Staut tape une nouvelle fois juste : »Steve et moi, on fait partie des rares à se positionner. J’ai peur qu’on devienne les seuls à lutter. L’intérêt est d’essayer de s’unir, on doit rassembler des voix derrière nous. Le problème c’est que les gens ne sont pas assez au courant de ce qui se passe. Nous les premiers ! »

Il sera difficile désormais de dire qu’on ne savait pas.

NB : A lire également, toujours sur l’Eperon, l’éclairant article d’Emmanuelle de Monléon « Une conférence embarrassante… »

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