Traces de sang : revoir le règlement ?
L’élimination de Pédro Veniss en sortie de piste de l’épreuve par équipes lors des Jeux Olympiques pour une éraflure sur le flanc de son cheval a suscité un certain émoi parmi les cavaliers de haut niveau. Son compatriote Brésilien, Rodrigo Pessoa, est notamment monté au créneau dans un entretien à World of showjumping pour critiquer une décision à ses yeux disproportionnée. Nick Skelton s’est également interrogé publiquement sur le site britannique Horse & Hound sur l’excès de zèle des commissaires dans l’application des règles de protection du bien-être des chevaux.
Le point commun entre Skelton et Pessoa c’est que ce sont deux figures légendaires du saut d’obstacles international. Deux doubles médaillés olympiques qui ont suffisamment de recul pour juger avec objectivité ce qu’ils considèrent comme une dérive dans l’application d’un principe qu’ils ne remettent nullement en cause : le bien-être du cheval.
La peur des répercussions médiatiques d’un incident a-t-elle poussé les commissaires de la FEI à un excès de zèle dans l’interprétation des règles ? On peut légitimement le penser et on doit logiquement s’interroger sur une décision amenée à faire jurisprudence.
Premier sang. Ce qui est en cause, c’est bien l’interprétation à donner à de l’article 241.3.30 du règlement des compétitions internationales de saut d’obstacles qui impose l’élimination d’un cavalier dès lors que la moindre goutte de sang est retrouvée sur les flancs de son cheval. Dans la pratique, pour s’en assurer, le commissaire passe un gant blanc en latex sur le corps du cheval dans la région des éperons. Si une seule gouttelette de sang apparaît, c’est l’élimination directe.
Mauvais sang. Or, selon Rodrigo Pessoa, dans le cas de Pédro Veniss il n’y avait pas de sang mais « une éraflure presque invisible sur le bord de la sangle, là où un cavalier ne touche même pas son cheval avec l’éperon ». Le brésilien, pointe du coup avec justesse le problème : « cette éraflure a été jugée et sanctionnée de la même manière qu’un abus ou un usage excessif de l’éperon ».
En représentant consciencieux des athlètes au sein de la FEI, Pessoa soulève une vraie question. Une décision aussi importante qui peut conduire à l’élimination du cavalier peut-elle être laissée à la seule appréciation d’un commissaire ? Ne conviendrait-il pas que la décision soit collective et puisse s’appuyer sur la consultation de la vidéo comme dans d’autres disciplines lorsque l’arbitrage est litigieux ? On en reviendrait alors à l’esprit du règlement (sanctionner un usage excessif des éperons) plutôt qu’à une lettre, potentiellement détournée selon les circonstances. Et Pessoa d’aller au bout de son raisonnement en estimant que ce système du tout ou rien est inadapté, qu’il faut introduire une proportionnalité dans les sanctions de type carton jaune de façon à voir une sanction « appropriée », adjectif essentiel.
Ces propos pleins de bon sens ne doivent pas être balayés par le vent. On imagine le tollé qu’aurait suscité une telle décision si elle avait frappé le camp français, car elle est renforcée par la réforme du format olympique dans lequel il n’y a plus de « drop score », à savoir l’effacement du plus mauvais résultat. Une élimination d’un couple se traduit automatiquement par l’élimination de l’équipe (mort subite). Oups !
Nick Skelton arrive aussi à la même conclusion. Le champion britannique et époux de l’Américaine Laura Kraut, parle de Paris 2024 comme l’un des meilleurs Jeux Olympiques auxquels il a assisté, mais appelle à moins de zèle de la part des commissaires. Skelton relève l’intrusion croissante des commissaires dans la gestion des chevaux comme si les cavaliers ne savaient pas ce qui est le mieux pour des chevaux qui sont à ce niveau bichonnés, tant par amour du cheval que par bonne d’un gestion d’un actif de grande valeur…
« Just let us ride » (laissez-nous monter) demande Skelton face à ce sentiment de surveillance et de défiance. « Nous ne faisons rien de mal, mais nous craignons d’être perçus comme tels par les bien-pensants qui pensent que nous utilisons et maltraitons nos chevaux bien-aimés« . Dans le cas précis des traces de sang, Skelton plaide également pour la possibilité de recourir à la vidéo pour déterminer les circonstances d’une éventuelle blessure.
Ce ne serait d’ailleurs que justice. On ne peut en effet être de la plus grande exigence à l’égard des cavaliers et, dans le même temps, disposer de moyens de contrôle subjectifs et aléatoires. Le recours à la vidéo apparaît dès lors comme une demande légitime en cas de contestation, tout comme une prise de décision a minima collective. Le débat est ouvert.